Comment | Michèle Cotta Cotta - Réforme du collège : tous coupables !
Le Point - Publié le 15/05/2015 à 07:48
Droite et gauche font semblant de se déchirer sur l'école. La vérité, c'est que tous les ministres ont, depuis un siècle, affaibli l'école républicaine.
En cent ans, les heures de classe ont diminué de 30 %. Une baisse qui profite aux classes sociales aisées. En cent ans, les heures de classe ont diminué de 30 %. Une baisse qui profite aux classes sociales aisées. © Thomas Samson/AFP
95 36 Par MICHÈLE COTTA Trop de latin ou pas assez ? Histoire de France ou Histoire du monde ? Langues vivantes ou langues mortes ? Grec ou latin, ou grec et latin ? Travail à la maison ou pas ? Classes bilangues à partir de la sixième ou langue étrangère unique à partir de la cinquième ? Collège unique ou collège inique ? Baisse du niveau ou au contraire démocratisation des connaissances ? École formatrice d'élites ou école pour tous ?
Cela fait des années que les controverses scolaires de toute nature entretiennent la querelle droite-gauche. Il est facile de démontrer qu'en réalité gauche et droite oeuvrent depuis longtemps dans le même sens, se reprochant à tour de rôle d'enterrer l'Éducation nationale et l'école républicaine.
Une diminution constante des heures de classe
Quelques statistiques d'abord, utiles à la compréhension. La diminution des heures de classe ? Une étude de Claude Lelièvre pour les très sérieux Cahiers pédagogiques montre qu'en réalité, elle est constante depuis le début du XXe siècle. Et poursuivie par tous les gouvernements de gauche et de droite sous la Ve République. En 1894, dans le premier degré, on travaillait 1 388 heures réparties sur 223 jours. Soit 30 heures par semaine. Les grandes vacances ont été augmentées de quinze jours en 1922. Puis, de deux semaines à nouveau par le Front populaire, pour séduire les instituteurs. En 1936, on en est à 1 128 heures en 188 jours.
En 1969, c'est Olivier Guichard, ministre de Georges Pompidou, qui par un arrêté du 8 août, abaisse le nombre d'heures à 27 par semaine. En 1989, Rocard étant Premier ministre, la durée de l'année scolaire est fixée à 975 heures pour 26 heures hebdomadaires. Enfin, en septembre 2007 - sous Nicolas Sarkozy cette fois - le ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos, annonce la suppression des classes du samedi, et la réduction de la semaine scolaire à 24 heures, quatre jours de six heures pour les élèves. Ainsi, en un siècle, le temps passé à l'école a diminué de 30 %. Sans oublier les congés pour formation professionnelle ou les congés-maladie de courte durée sans remplacement.
La déréliction des langues anciennes
L'enseignement des langues mortes ? Le temps qui leur est consacré ne cesse également de diminuer. En 1880, Jules Ferry - à qui se fier ! - a repoussé l'enseignement du latin, jusqu'alors dispensé dans les classes élémentaires, à la sixième.
La réforme de 1902, sous un gouvernement de gauche républicaine, institue l'enseignement du grec à titre facultatif en quatrième et en troisième, et envisage une section moderne, sans latin, à partir de la seconde. Edgar Faure, en 1968 (Georges Pompidou, agrégé de lettres classiques, Premier ministre), décide de repousser à la quatrième l'enseignement du latin. Décision qui ne sera remise en cause que par François Bayrou, à son tour en charge de l'Éducation nationale, prévoyant une option de l'enseignement du latin à partir de la cinquième pour les élèves qui le désirent. Quant aux heures consacrées au latin et au grec, elles n'ont cessé de se réduire : 2 heures hebdomadaires, pour ceux qui choisissent le latin en cinquième, trois heures pour les classes de quatrième et de troisième.
Enfin, aujourd'hui, en envisageant au collège la suppression des options latin ou grec, et en les remplaçant par des enseignements pluridisciplinaires, la réforme proposée arrive pratiquement au degré zéro de l'enseignement du grec et du latin. À moins que l'indignation du groupe des défenseurs des langues anciennes, qui comptent parmi eux des personnalités aussi différentes que François Bayrou et Régis Debray, finisse par entraîner une modification des projets ministériels.
On pourrait, pour citer plus brièvement d'autres exemples, évoquer de la même façon le traitement réservé à l'enseignement des langues modernes, tour à tour réduit et rétabli, puis malmené par l'éventuelle suppression des classes bilangues. Ou la suppression du travail scolaire à la maison, envisagée en 2012 sous la pression d'un des syndicats de parents d'élèves.
La plus grande pente
Il est naturel certes qu'en un siècle le contenu des programmes évolue. Encore faut-il choisir les bonnes évolutions. Or, s'il y a une constante dans les politiques suivies depuis des années, c'est que, de petite concession en petite concession, elles se traduisent, sur l'ensemble, par une diminution du temps passé à l'école. Pourquoi ? Une des réponses, sans doute la plus importante, tient au fait que le ministre de l'Éducation nationale est en même temps celui des enseignants : c'est dire que la cogestion est de règle. Face aux corporatismes, ceux des syndicats enseignants, parfois en contradiction les uns avec les autres, ceux des syndicats de parents d'élèves aussi, l'intérêt général passe au second plan.
Le véritable intérêt des collégiens serait de passer le maximum de temps au collège. Ce n'est pas, de toute évidence, le cas d'un certain nombre d'enseignants. Pas plus que celui des parents qui, préférant partir en week-end dès le vendredi soir, ont poussé à la suppression des heures de classe le samedi matin, les ministres de l'Éducation ne sont ni plus ni moins courageux que les autres. Ils vont dans le sens de la plus grande pente. Ils savent en outre, comme les présidents de la République et les Premiers ministres qui se succèdent, le poids de l'opinion publique, versatile, oscillant entre défense des particuliers et soutien aux professeurs.
Cela ne les empêche pas, ministre après ministre, de défendre "leur" réforme de l'école. À y regarder de près, toutes se soldent par la diminution des heures de travail des professeurs et des élèves. Ce qui, évidemment, crée ou accroît les inégalités sociales : les enfants de famille aisées voyagent, apprennent l'anglais en Angleterre pendant des séjours d'été. Les enfants de familles plus modestes se retrouvent seuls et dans la rue. Les premiers ont des ordinateurs, les autres partagent le leur. Fracture sociale et fracture informatique se recoupent.
Personne ne profitera d'un affaiblissement de l'école publique. À l'exception des établissement privés.
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